CHAPITRE TRENTE ET UN

Honor se coupa un autre morceau de steak et le glissa dans sa bouche. Elle avait découvert que s'alimenter était une tâche douloureuse lorsque seule la moitié de votre visage fonctionnait. Le côté gauche de sa bouche était inutile dès qu'il s'agissait de mâcher et, détail humiliant, elle ne se rendait compte que certains aliments dégoulinaient sur sa joue et son menton insensibles que lorsqu'ils venaient tacher son uniforme. Elle avait progressé ces derniers jours, mais pas assez pour accepter de manger en public.

Toutefois ce souci-là au moins était banal, presque réconfortant par rapport aux autres. Cinq jours s'étaient écoulés depuis le départ de l'Apollon. Si les Masadiens comptaient faire une nouvelle tentative — et bien qu'elle eût affirmé à Venizelos qu'ils seraient fous d'essayer, elle restait convaincue qu'ils tenteraient quelque chose — ils ne tarderaient plus. Pourtant, à sa propre surprise, elle parvenait à l'envisager presque sereinement. Elle avait atteint un état d'équilibre, d'acceptation. Elle était engagée. Elle avait fait tout son possible pour se préparer et préparer son équipage et il ne leur restait plus qu'à affronter ce que leur réservait l'avenir. Une fois qu'elle avait accepté cette perspective, le chagrin, la culpabilité, la haine et la peur s'étaient mués en une étrange sérénité. Elle savait que cet état ne durerait pas : c'était simplement sa façon de s'adapter à l'attente, mais elle l'appréciait.

Elle mâchait soigneusement, prenant soin de ne pas se mordre la joue gauche et heureuse que sa langue n'ait subi aucun dommage. Puis elle avala sa bouchée et prit sa bière. Elle but avec le même soin, penchant la tête de côté afin de minimiser les risques. Elle venait de reposer sa chope lorsque la sonnerie musicale d'un terminal com. lui parvint par le sas de la salle à manger.

« Blic ? s'enquit Nimitz depuis son bout de table.

« Aucune idée », répondit-elle. Elle attendit et MacGuiness passa bientôt la tête par le sas avec l'air désapprobateur qu'il prenait lorsqu'on interrompait les repas de son commandant.

« Excusez-moi, madame, mais le capitaine Venizelos veut vous parler. » L'intendant prit un air dédaigneux. « Je lui ai dit que vous étiez en train de manger mais il prétend que c'est important. »

L'œil valide d'Honor se mit à briller et elle cacha derrière sa serviette le sourire qui naissait au coin de sa bouche. Depuis sa blessure, MacGuiness protégeait ses rares moments de solitude comme un mastiff irritable, surtout pendant les repas, et il ne lui aurait jamais pardonné de se moquer.

« Je suis persuadée que c'est vraiment important, Mac », dit-elle pour l'apaiser, et l'intendant s'effaça d'un air dubitatif pour la laisser passer. Puis il se dirigea vers la table et plaça une cloche sur son assiette afin de la garder au chaud. Nimitz leva vers lui des yeux interrogateurs mais MacGuiness haussa les épaules en signe d'ignorance et le chat sylvestre quitta sa chaise pour trottiner derrière sa partenaire.

Honor appuya sur une touche pour accepter la communication. Le message EN ATTENTE disparut de l'écran, remplacé par un Venizelos apparemment inquiet.

« Qu'y a-t-il, Andy ?

— Le drone neuf-trois vient de détecter une empreinte hyper à la limite de sa portée, madame, soit pile cinquante minutes-lumière. »

Honor sentit son visage devenir uniformément immobile. Sa sérénité venait de prendre un coup, mais elle se contrôlait. À une distance pareille, ils avaient encore du temps devant eux.

« Vous avez des détails ?

— Juste la séquence d'alerte pour l'instant. Le Troubadour est prêt à relayer la transmission à mesure qu'elle nous parviendra mais... » Il s'arrêta parce qu'on lui disait quelque chose qu'Honor ne parvint pas à saisir, puis se retourna vers son commandant. « Oubliez ça, pacha. D'après le capitaine McKeon, neuf-deux vient d'annoncer qu'un vaisseau traverse son champ de détection. Neuf-trois confirme et le situe sur le plan de l'écliptique. On dirait qu'ils contournent la planète pour attaquer Grayson par-derrière. »

Honor hocha la tête en réfléchissant à toute vitesse. Sur ce genre de trajectoire, il ne pouvait s'agir que des Masadiens, or on savait que Masada disposait encore d'au moins un autre navire hypercapable, donc celui-ci n'était pas nécessairement le croiseur de combat. Et puisque les capteurs gravifiques de l'Intrépide ne fonctionnaient plus, elle ne pouvait pas directement lire les impulsions supraluminiques des drones et se trouvait dans l'incapacité d'envoyer le Troubadour vérifier la nature de la menace sans perdre son lien en temps réel avec les capteurs tactiques principaux.

« D'accord, Andy. Prévenez l'amiral Matthews et activez nos bandes gravifiques. Demandez à Rafe et Stephen de déterminer une trajectoire. Tant que nous n'aurons pas d'indications de masse de la part d'un des drones, c'est tout ce que nous pourrons faire.

— À vos ordres, madame.

— J'arrive tout de suite et... » Honor s'arrêta en sentant une présence dans son dos. Elle regarda par-dessus son épaule et vit James MacGuiness, bras croisés. Elle soutint un instant son regard puis se retourna vers Venizelos. « J'arrive dès que j'ai fini de déjeuner », rectifia-t-elle d'un air soumis. Malgré sa tension, le second lui sourit.

« Bien, madame, je comprends.

— Merci. » Honor coupa la communication, se leva et se dirigea tout droit vers la table sous le regard sévère de son intendant.

L'enseigne Wolcott sentait ses collègues refléter sa propre appréhension tandis qu'elle mettait à jour la trajectoire projetée de l'ennemi. Le capitaine Venizelos circulait entre les postes de contrôle, mais Wolcott était plus consciente de l'absence du commandant que de la présence du second. Elle n'était sans doute pas la seule, à en juger par le nombre de regards qu'elle avait surpris en direction du fauteuil qui trônait vide au milieu de la passerelle.

Elle termina sa tâche et se cala dans son siège. Une voix tranquille lui parla alors à l'oreille gauche.

— Du calme, enseigne. S'il y avait vraiment un problème, le pacha n'aurait pas pris le temps de finir son déjeuner. »

Elle tourna la tête et rougit en croisant le regard compréhensif du lieutenant Cardones.

— Ça se voyait tant que ça, monsieur ?

— Oui. » Cardones lui fit un grand sourire. « Évidemment, c'est peut-être parce que moi aussi j'aimerais bien qu'elle soit là. D'un autre côté, d'après nos calculs, il ne va rien se passer pendant un moment, et je préfère largement que la vieille soit reposée quand tout commencera que de la voir dépenser son énergie à me tenir la main entre-temps.

— Oui, monsieur. » Wolcott regarda de nouveau ses instruments. On disposait maintenant d'estimations de la masse du vaisseau ennemi transmises par trois drones et, d'après le CO, il y avait quatre-vingt-dix chances sur cent qu'il s'agisse du croiseur de combat havrien. Pas vraiment de quoi la réconforter.

Elle observa les lignes lumineuses innocentes et inoffensives qui s'affichaient sur son écran et sentit son pouls s'accélérer. Sa chevelure châtain était humide de sueur et son estomac n'était plus qu'un nœud. Elle avait eu très peur quand l'Intrépide s'était élancé vers les missiles de Merle, mais c'était pire cette fois. Bien pire. Maintenant elle savait ce qui pouvait arriver car elle avait vu des bâtiments exploser, elle avait vu les conséquences des traitements cruels infligés à Mai-Ling Jackson, une camarade de promotion, et elle avait perdu deux amis chers à bord de l'Apollon : elle mourait de peur. Sa propre mortalité lui apparaissait pleinement et l'approche lente de l'ennemi lui laissait trop de temps pour y réfléchir.

— Monsieur, fit-elle tout bas sans lever les yeux, vous avez vu plus de combats que moi et vous connaissez mieux le capitaine. Est-ce que... » Elle se mordit la lèvre puis lui lança un regard presque suppliant. « Combien de chances avons-nous de nous en tirer ?

— Eh bien... fit lentement Cardones en se tirant l'oreille, laissez-moi vous présenter la situation sous un autre angle, Carolyn. La première fois que le pacha m'a emmené au combat, je savais qu'elle allait me faire tuer. Ce n'est pas que je le croyais : j'en avais la certitude, et j'avoue que j'ai bien failli me pisser dessus. »

Il lui sourit à nouveau et, malgré sa peur, Wolcott esquissa elle aussi un timide sourire.

— Eh bien, j'avais tort, poursuivit Cardones. C'est marrant, on en oublie presque d'avoir peur quand la vieille est là. Comme si on savait qu'ils ne l'auront jamais, et donc qu'ils ne vous auront pas non plus. Ou peut-être qu'on se sent trop embarrassé pour avoir peur, vu qu'elle ne craint rien. Je ne sais pas. » Il haussa les épaules d'un air penaud.

— En tout cas, elle a fait sa fête à un navire-Q de sept millions et demi de tonnes avec un croiseur léger, alors elle peut sans doute venir à bout d'un croiseur de combat avec un croiseur lourd. Et si elle s'inquiétait, j'imagine qu'elle serait ici à se tracasser comme nous au lieu de finir son repas.

— Oui, monsieur. » Wolcott parvint à sourire plus naturellement et se retourna vers la console comme son oreillette lui signalait que le Troubadour transmettait de nouvelles informations. Elle mit de nouveau à jour les projections et Rafael Cardones regarda le capitaine Venizelos par-dessus sa tête baissée. Leurs regards se croisèrent, pleins d'une triste sympathie pour l'enseigne Wolcott. Ils comprenaient parfaitement qu'elle ait besoin d'être rassurée... et ils savaient également qu'il y avait une énorme différence entre attaquer un navire-Q en fuite et affronter un croiseur de combat qui venait droit sur vous.

Honor ouvrit le module de survie et Nimitz y sauta d'un air résigné. Cette fois au moins il n'y avait pas d'urgence : il prit le temps de vérifier les distributeurs de nourriture et d'eau et d'arranger son nid de façon satisfaisante. Puis il se coucha et regarda Honor en la mettant en garde d'un miaulement.

« Oui, et toi aussi sois prudent », dit-elle tout bas en lui caressant les oreilles. Il ferma les yeux pour savourer son contact, puis elle recula et verrouilla le couvercle du module.

« Le CO confirme les évaluations de masse transmises par les drones, madame, annonça Venizelos en l'accueillant devant l'ascenseur. Le vaisseau arrive par l'arrière de la planète.

- HPA ?

— Il est encore à plus de deux milliards de kilomètres, madame, et il limite son accélération à environ cinquante g, probablement pour éviter d'être détecté. Vitesse de base : cinquante-neuf mille cinq cents km/s. En admettant qu'il conserve son accélération actuelle, il atteindra Grayson dans une huitaine d'heures à une vitesse approximative de soixante-quatorze mille km/s. »

Honor hocha la tête puis se retourna car quelqu'un sortait de l'ascenseur. On avait trouvé dans les stocks une combinaison manticorienne pour le capitaine Brentworth et seul l'insigne de Grayson peint au niveau des épaules le distinguait du reste de l'équipage. Il lui sourit d'un air tendu.

Il est encore temps de quitter le vaisseau, Mark, dit-elle assez bas pour que personne d'autre ne puisse l'entendre.

— On m'a assigné ce poste, madame. » Son sourire était peut-être tendu mais sa voix demeurait remarquablement calme. Le regard borgne d’Honor se fit approbateur et chaleureux; pourtant elle insista.

« Certes, mais je ne vois pas avec qui vous allez nous relier dans les prochaines heures.

— Commandant, si vous voulez que je quitte votre bâtiment, vous pouvez m'en donner l'ordre. Dans le cas contraire, je reste. Il doit y avoir un officier graysonien à bord si vous affrontez ces fanatiques en notre nom. »

Honor allait lui répondre mais elle ferma la bouche et secoua légèrement la tête. Elle posa gentiment la main sur son épaule puis se dirigea vers le poste d'astrogation occupé par DuMorne afin d'observer son écran.

Le Tonnerre divin – ou le Saladin, ou tout autre nom – maintenait une accélération faible, mais il s'agissait probablement d'une simple précaution. Il se trouvait à plus de cent minutes-lumière de Grayson sur sa trajectoire actuelle et à plus de quarante minutes-lumière de Yeltsin, ce qui le mettait hors de portée de tous les détecteurs de Grayson.

Bien sûr, son commandant savait qu'il avait affaire à des vaisseaux de guerre modernes mais il ne voyait certainement pas l'Intrépide ni le Troubadour sur ses écrans. Quant aux drones, extrêmement discrets, il ne devait pas non plus les détecter. Alors, en admettant qu'il ignorait tout de leur déploiement (or il ne pouvait rien en savoir) et de leur portée de détection ainsi que de leur capacité de transmission supraluminique, il se croyait sans doute invisible pour l'instant.

Elle se frotta le bout du nez. Elle n'aurait pas procédé de cette façon, vu la différence de gabarit, mais les Masadiens avaient manifestement opté pour une approche prudente. Le temps qu'ils entrent dans la sphère de détection de Grayson, ils seraient loin de Yeltsin et ils auraient certainement coupé leur propulsion. Leur durée de vol s'en trouverait prolongée mais cette manœuvre les amènerait de l'autre côté de la planète sur une trajectoire balistique, et puisque la signature de leurs impulseurs ne serait pas là pour les trahir, ils arriveraient à portée de missile de Grayson et pourraient tirer avant d'être repérés par les capteurs actifs.

Toutefois elle les avait déjà détectés. Que faire maintenant de cette information ? Elle se pencha sur la console de DuMorne et traça une esquisse de trajectoire plus courte, plus serrée, partant de Grayson pour décrire une courbe autour de la planète, à l'intérieur de la parabole qu'emprunterait probablement le Saladin.

« Tapez-moi ça en affinant la trajectoire, Steve. Considérez que nous utilisons notre accélération maximum en suivant cette courbe. À quel moment entrerions-nous à portée de ses capteurs ?

DuMorne se mit à jongler avec les chiffres et Honor regarda un vecteur hypothétique se dessiner comme il transformait son esquisse en trajectoire ferme.

« Il nous détecterait à peu près à cet endroit, madame, à cent trente-cinq millions de kilomètres de Yeltsin, dans environ cent quatre-vingt-dix minutes. Notre vélocité de base serait de cinquante-six mille six cent soixante-sept km/s. Il se trouverait alors ici, à environ quatre cent quatre-vingt-quinze millions de kilomètres de Yeltsin et à un virgule trois milliards de Grayson sur sa trajectoire actuelle. Le point de convergence de nos vecteurs respectifs se situerait à deux virgule trois millions de kilomètres de Grayson, cinq virgule vingt-cinq heures plus tard. En admettant, bien sûr, que les accélérations demeurent inchangées. »

Honor hocha la tête à cette remarque : si un élément était certain dans cette affaire, c'était bien que l'accélération du Saladin changerait dès qu'il repérerait l'Intrépide et le Troubadour.

« Et si nous contournions Yeltsin sur une trajectoire qui rejoindrait la leur ?

— Une seconde, madame. » DuMorne tapa encore quelques chiffres et un nouveau vecteur apparut sur l'écran. « Si nous les approchons ainsi, ils nous détecteront à environ un virgule cinq milliards de kilomètres de l'orbite de Grayson dans deux cent cinquante minutes. Notre vitesse d'approche s'élèverait alors à cent quarante et un mille quatre cent quatre-vingt-dix-sept km/s et les vecteurs convergeraient quarante-huit minutes après détection.

— Merci. » Honor croisa les bras et se dirigea vers le fauteuil de commandement en réfléchissant aux options qui s'offraient à elle.

La seule chose qu'elle ne pouvait pas se permettre, c'était d'attendre là que l'ennemi vienne à elle : si elle lui laissait prendre l'avantage de la vitesse, le Saladin serait dans une position idéale pour l'affrontement à coups de missiles et il pourrait survoler Grayson – ainsi que les vaisseaux d'Honor – dans une relative impunité.

Pour éviter cela, Honor pouvait aller à sa rencontre en empruntant la trajectoire inverse de celle du croiseur havrien. Dans ce cas le Saladin ne pourrait pas l'éviter mais leur vitesse d'approche serait élevée, limitant sévèrement la durée de l'affrontement : ils auraient un peu plus de quatre minutes pour lancer leurs missiles de façon efficace, et à peine sept secondes pour utiliser leurs armes à énergie. Le Saladin ne pourrait refuser le combat mais celui-ci serait sans nul doute très court.

Ou alors Honor pouvait décrire sa propre parabole, moins ample, à l'intérieur de celle du Saladin. Le croiseur de combat disposerait encore de la plus importante vélocité de base au moment où il détecterait l'Intrépide et le Troubadour mais leurs courses convergeraient et les Masadiens se trouveraient à l'extérieur de la courbe. Les navires d'Honor parcourraient une distance moindre et le croiseur de combat serait incapable de passer à l'intérieur, même s'il cessait de traîner pour passer en puissance maximum.

Inconvénient majeur, ils se trouveraient alors dans un affrontement convergent, un long duel pendant lequel les batteries de missiles plus puissantes des Masadiens, leurs soutes à munitions plus vastes et leurs barrières latérales plus résistantes pourraient être pleinement mises à profit. La durée même du combat leur donnerait plus de temps pour pilonner l'Intrépide et le Troubadour... qui disposeraient également de plus de temps pour toucher le Saladin.

Bref, soit elle choisissait un combat rapproché court et sauvage en misant sur la chance, soit elle optait pour une guerre de tranchées.

Bien sûr, elle possédait un avantage majeur et cette idée la fit sourire méchamment : tout comme les Masadiens lorsqu'ils avaient tué l'amiral, elle savait où se trouvait l'ennemi, tandis que celui-ci ignorait ce qu'elle faisait.

Elle joua un instant avec la trajectoire qu'elle envisageait, modifiant les chiffres de DuMorne sur le simulateur tactique de son fauteuil, puis elle poussa un soupir. Si le Saladin était arrivé un peu plus lentement ou selon une courbe plus ample, elle aurait peut-être eu assez de temps pour accélérer sur une trajectoire convergente puis couper ses impulseurs afin d'entrer discrètement à portée de missiles. Mais ce n'était pas le cas.

Et à bien y réfléchir, elle ne pouvait pas prendre le risque d'aller tout droit à sa rencontre. Si les Masadiens étaient assez fous pour lancer une attaque maintenant, elle devait partir du principe que le capitaine du Saladin était capable d'attaquer Grayson à l'arme nucléaire. Elle ne pouvait pas engager le combat en espérant frapper au but si son échec laissait le champ libre au Saladin. Il ne restait donc que l'approche convergente.

Elle se cala dans son fauteuil et frotta un moment le côté insensible de son visage en réfléchissant à la façon dont le croiseur de combat avait choisi d'attaquer. Son capitaine avait l'air bien prudent; au point qu'une telle frilosité la surprenait, surtout dans la mesure où toute attaque contre Grayson ne pouvait être qu'un acte désespéré. Si la flotte de la République populaire avait accumulé quelque chose en cinquante années T de conquête, c'était bien de l'expérience, or ce commandant n'en faisait guère preuve. Il ne ressemblait vraiment pas à Theisman, et elle n'allait certainement pas s'en plaindre !

Mais si elle mettait un capitaine prudent face à une situation où il devait choisir entre un combat à mort près de la planète et la fuite, surtout si elle s'arrangeait pour lui prouver qu'elle le surveillait alors même qu'il se croyait invisible, peut-être flancherait-il. Et si elle parvenait à l'éloigner pour repenser sa stratégie, elle gagnerait du temps... et chaque heure que l'autre passerait à hésiter rapprocherait un peu l'arrivée des renforts manticoriens.

Évidemment, il déciderait peut-être qu'il avait fait de son mieux pour être discret et qu'il fallait maintenant agir comme elle-même l'aurait fait depuis le début : foncer droit sur l'Intrépide et le défier avant de l'éliminer.

Elle ferma son œil valide, le visage calme et immobile, pour prendre sa décision.

— Com, passez-moi l'amiral Matthews.

— À vos ordres, madame. »

Matthews paraissait inquiet sur l'écran d'Honor, car les capteurs granitiques du Troubadour avaient également transmis leurs données au Covington. Pourtant il soutint calmement son regard.

— Bonjour, monsieur. » Honor articulait soigneusement, s'efforçant de paraître calme et confiante comme il se devait.

— Capitaine, répondit Matthews.

— J'emmène l'Intrépide et le Troubadour rejoindre le Saladin selon une trajectoire convergente, annonça Honor sans préambule. Son approche prudente pourrait signifier qu'il vient seulement reconnaître le terrain. Dans ce cas, il pourrait bien s'enfuir en comprenant que nous sommes en mesure de l'intercepter. »

Elle s'arrêta et Matthews hocha la tête mais elle devina à son regard qu'il réfléchissait et ne croyait pas non plus se trouver face à un vol de reconnaissance.

En même temps, poursuivit-elle, la possibilité demeure que Masada dispose de plus de vaisseaux hypercapables locaux que nous ne le croyons, donc le Covington, le Gloire et vos BAL vont devoir surveiller la petite porte.

— Compris, capitaine », fit calmement Matthews, et Honor entendit les mots qu'il n'ajouta pas : si le Saladin parvenait à se débarrasser de l'Intrépide et du Troubadour, ceux-ci l'auraient du moins peut-être assez abîmé pour que les navires graysoniens aient une chance face à lui.

— Peut-être.

« Alors nous y allons, monsieur. Bonne chance.

— Bonne chance à vous, capitaine Harrington. Dieu et nos prières vous accompagnent. »

Honor acquiesça et coupa la communication, puis elle se tourna vers DuMorne.

« Steve, communiquez la première trajectoire au timonier. C'est parti », fit-elle sur un ton serein.

Pour L'Honneur de la Reine
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